Communication d’un groupe d’étude de l’Académie
- Père Jean-Robert Armogathe, professeur des universités, directeur d’études émérite à École pratique des hautes études (Sorbonne), membre de l’Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), historien.
- François Bricaire, professeur émérite des universités, ancien chef du service d’infectiologie de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière.
- Père Philippe Capelle-Dupont, professeur des universités, philosophe et théologien.
- Vincent Delmas, professeur émérite des universités, membre de l’Académie nationale de médecine.
- Laurent Leveneur, professeur des universités, juriste.
- Hugues Portelli, professeur des universités, président de l’Académie catholique de France.
Le Parlement français est saisi d’une proposition de loi demandant la légalisation de l’euthanasie. Pudiquement intitulée « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie », cette proposition sera débattue le 8 avril prochain à l’Assemblée nationale.
La loi Leonetti de 2005 avait trouvé une sorte d’équilibre entre la demande d’intensification des soins palliatifs et le refus de « l’obstination déraisonnable ». Elle a été complétée non sans risque en 2016 par l’autorisation de la sédation profonde destinée à accompagner sans souffrance le processus naturel de fin de vie
Cette nouvelle proposition de loi franchit la ligne rouge : elle vise à permettre la mise à mort médicale de toute personne non pas seulement en fin de vie mais relevant d’une « affection grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable », sans référence au « pronostic vital ».
Prétextant de la pratique généralisée de l’euthanasie active dans certains pays voisins, cette proposition législative est idéologiquement portée par une rhétorique abusive du « progrès », alors même qu’elle contredit frontalement l’éthique et la déontologie à laquelle tout médecin est lié par le serment d’Hippocrate.
Ce serment, revu en 2016 par le Conseil national de l’Ordre des médecins, énonce : « Je ne provoquerai jamais délibérément la mort ». Dans la formulation initiale, Hippocrate précisait : « Je ne remettrai à personne du poison si on m’en demande ou ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion ». L’adoption de cette loi conduira-t-elle alors à renier un article crucial du serment d’Hippocrate qui a fait l’histoire et la noblesse de la médecine ?
La déclaration d’Helsinki sur la recherche médicale (1964, réactualisée en 2013) affirme sans équivoque que la médecine doit sauvegarder la santé et protéger la vie. Aucune autorité, quelle qu’elle soit, politique ou médicale, ne saurait décider de mettre fin à la vie d’une personne : « La mort ne peut être infligée intentionnellement », proclame solennellement l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est là un interdit fondamental que même le législateur ne peut enfreindre.
L’euthanasie ne saurait être considérée comme une thérapeutique. Aussi le serment d’Hippocrate dépasse-t-il la seule conscience des médecins. Il constitue le socle indispensable de la confiance des citoyens envers chacun d’eux et de l’adhésion aux principes qui régissent leur exercice. Une personne malade, affaiblie, endormie, ne peut s’en remettre sans crainte à ses soignants que parce que ceux-ci, par profession, garantissent la vie. On a pu constater à cet égard des dérives récentes (dues en grande partie aux intérêts économiques de l’industrie pharmaceutique) ; un ultime verrou, hautement symbolique, serait en l’espèce en train de sauter.
Rappelons qu’une des raisons ayant conduit en France à l’abolition de la peine de mort était « qu’aucune autorité ne saurait décider de la mort d’un être humain ». Ce principe fondamental est directement menacé par cette proposition de loi.
La loi est normative : elle dit ce qui est permis et ce qui est interdit. La communauté citoyenne ne saurait apporter sa caution légale de principe à des décisions bioéthiques qui concernent le domaine intime de la conscience et le mystère de la vie.